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La plainte dématérialisée… et la délation institutionnalisée ?

Submitted by on 11 juillet 2007 – 0 h 00 minNo Comment

Tout le monde ou presque a dû croiser, quelques jours après l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence, la création d’un site web cruellement prémonitoire : celui du “Ministère du Civisme et de la Délation” (www.delation-gouv.fr).

Une « blague de potache » pour ses créateurs, mais qui devient de moins en moins drôle à la lumière du dernier discours public de la ministre de l’Intérieur. Le 6 juillet elle participait à la « 7ème Rencontre avec les Associations d’aide et de victimes », en présence de la Garde des Sceaux , dans l’amphithéâtre de l’Ecole des officiers de la gendarmerie nationale de Melun. Elle y venait résumer les grandes lignes de sa prochaine loi de programmation sur la sécurité intérieure (LOPSI), un chantier quasi incontournable pour tout ministre de l’Intérieur qui vient d’entrer en fonction en début de quinquennat.

Verbatim de Michèle Alliot-Marie : « Le ministère de l’Intérieur est celui de l’aide et du soutien aux victimes. (…) Il leur revient de leur apporter un indispensable réconfort et soutien, mais aussi des réponses concrètes et techniques sur l’avancement des investigations notamment. Je souhaite que nous progressions encore et ce dans deux directions : l’accès aux services et l’accompagnement des victimes. En ce qui concerne l’accès aux services, je souhaite mettre en place les moyens les plus modernes pour en faciliter l’accès et pour aboutir à la manifestation de la vérité. J’ai donc prévu d’inscrire dans la future loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la possibilité de déposer plainte en ligne. Pour les infractions qui de manière quotidienne alimentent l’insécurité, un commissariat virtuel pourra enregistrer les dépositions des victimes. » [1]

L’envoyé spécial de l’AFP à Melun, le même jour, précise en outre : « cette nouveauté concernerait “les infractions qui de manière quotidienne alimentent l’insécurité”. Ce “signalement des faits en ligne permettra aux victimes de porter plainte à partir de chez elles”, a-t-on précisé à l’AFP dans l’entourage de la ministre. Cela leur “évitera les déplacements, les attentes”, a-t-on ajouté de même source, et, de la sorte, “les services de seront à même d’apprécier les faits et, le cas échéant, de proposer à la victime une date et un lieu de convocation”, a-t-on poursuivi. Cette “première évaluation des faits” donnera aux services de et de gendarmerie une meilleure latitude pour “recevoir les victimes de façon plus utile”, selon l’Intérieur. En outre, souligne-t-on de même source, “la victime pourra ainsi se faire connaître sans crainte de représailles ni contraintes matérielles”. Le système, qui “sera expérimenté dès la fin de l’année 2007 sur plusieurs sites de , notamment celui de la Sécurité publique et dans quelques départements”, devrait être “généralisé lors de l’application de la future Lopsi”. »

Entre Delation-gouv.fr et ce nouveau « service en ligne » officiel, il y a comme une consanguinité légèrement déconcertante. Alors oui, la “délation” au sens propre part du principe que le dénonciateur ne se fait pas connaître. A priori, c’est peu probable : surtout si la victime espére, plus tard, se voir « proposer (…) une date et un lieu de convocation ». Mais après tout, n’est-ce pas la liberté de la victime de rester anonyme ? Pourquoi risquer de s’identifier si l’on a, comme l’indique « l’entourage de la ministre », « crainte [des] représailles ». On n’en est pas encore au fichier TALON que les Etats-Unis voulaient instituer, et qui permettait — dans les faits — à n’importe qui de soumettre aux autorités le comportement “suspect” d’un voisin, mais on semble y arriver peu à peu.

Le parlement devra sans doute clarifier ce point et savoir si, pour être prise en compte, la personne qui déposera plainte par internet devra ou pas s’identifier, et dans quelles conditions ; car il faudra bien qu’elle s’identifie, exactement comme lors de tout dépôt de plainte (par main courante au commissariat ou lettre au procureur). Et s’il doit s’identifier, comment savoir que c’est bien lui qui est la victime, et pas un témoin ou n’importe qui. On imagine mal une identification certifiée par biométrie ou signature OpenPGP…

Voilà donc un beau sujet à traiter au 20 heures, pour une procédure qui ne verra sans doute jamais le jour telle qu’elle est présentée aujourd’hui en grande pompe. L’essentiel est ailleurs. Le but de la manœuvre est de rester en droite ligne avec la nouvelle approche “victimaire” de l’insécurité, autre tendance orwelienne implacable. Comme l’a très bien résumé le sociologue Denis Salas, interrogé par Le Monde au lendemain de la présentation du projet de loi sur la récidive par Rachida Dati :

« [L]a délinquance est regardée du point de vue de la victime ; elle est perçue comme une menace indifférenciée. Nous ne voyons plus l’individu en particulier mais la délinquance en général comme un fléau à endiguer. Cela conduit à confondre le mineur et le majeur, à ignorer l’auteur de l’acte. Deux gestes politiques témoignent de cette évolution des représentations. En 1974, à peine élu président de la République, Valéry Giscard d’Estaing va serrer la main d’un détenu de la prison Saint-Paul de Lyon. Le détenu, alors, demeure un semblable. La punition n’est pas synonyme d’exclusion. En 2007, l’un des premiers gestes de Nicolas Sarkozy devenu président est de recevoir les parents d’une jeune femme assassinée, ce à quoi fait écho l’annonce par la garde des sceaux de la création d’un “juge pour les victimes”. » [2]


[1] Intervention de Michèle Alliot-Marie, Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer et des Collectivités Territoriales – 7ème Rencontre avec les Associations d’aide et de victimes – Melun, Vendredi 6 juillet 2007 (lire l’intégralité).

[2] Le Monde, 7 juillet 2007, lire l’article en ligne.

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